Mon collègue diététicien Nicolas Parel m’apporte souvent la contradiction sur les sujets touchant à la nutrition. La cristallisation de ces désaccords semblait s’illustrer sur le sujet du végétalisme. Alors que j’étais en pleine écriture d’une série d’articles pour le média Topolitique, je lui ai proposé de m’apporter la contraction par écrit dans une série de questions auxquelles nous avons répondu chacun de manière indépendante. Nous nous retrouvons sur les grandes lignes. Un article que vous trouverez ci-dessous.

Simon

Depuis quelques années, le nombre de personnes portant un intérêt à l’alimentation végétalienne est en augmentation. Cette alimentation se caractérise par l’exclusion de tous les produits d’origine animale (viande, poisson, laitages, œufs et miel). Leurs principales motivations sont liées au bien-être animal, à leur santé et à des raisons écologiques. L’adéquation du végétalisme pour l’ensemble de la population fait débat entre les différentes sociétés savantes de nutrition. Compte tenu de ces divergences, comment se positionnent les professionnels de la nutrition lorsqu’ils reçoivent des patient.e.s végétalien.ne.s en consultation ? Aujourd’hui, deux diététiciens avec deux positionnements différents viennent exposer leurs arguments à travers plusieurs questions.

Quelles sont les principales difficultés à la mise en pratique d’un régime végétalien?

Nicolas : Même lorsqu’un individu est bien informé sur les aspects nutritionnels du végétalisme, il peut rencontrer des difficultés à les mettre en pratique. Les plats végétaliens dans les restaurants traditionnels se font encore assez rares. De même, la disponibilité alimentaire de certains produits végétaliens peut être limitée dans certaines zones plus rurales. Le manque de soutien ou le découragement venant de l’entourage peuvent également être un frein. Lors d’événements sociaux (anniversaire, apéritif, crémaillère) il y a fort à parier que les organisateurs n’ont pas prévu de plats végétaliens, à moins qu’ils suivent eux-mêmes ce régime. Enfin, la cuisine végétalienne demande souvent des efforts culinaires supplémentaires. Par exemple, il faut faire germer les légumineuses pour augmenter la biodisponibilité de certains nutriments.

Simon: On remarque une grande différence entre les aspects théoriques du végétalisme et sa mise en pratique dans la vie de tous les jours. De nombreux régimes végétaliens sont mal conduits pour 3 raisons principales : 

    • Le manque de connaissances nutritionnelles. A commencer par le fait qu’on ne peut pas supprimer une catégorie complète d’aliments sans conséquence sur la santé. On parle par exemple d’aller chercher les protéines dans d’autres aliments mais il est également question des micro-nutriments. Toutes les vitamines et minéraux qui peuvent poser problème chez les végétaliens (à commencer par la Vitamine B12, mais aussi les Oméga 3, le Calcium, le Fer, l’ Iode, le Selenium. le Magnésium ou encore la Vitamine D). Ces problématiques là demandent des vraies connaissances nutritionnelles qui sont parfois complexes même pour les spécialistes.  
    • Certaines fausses croyances répandues via internet ou dans les milieux intéressés. Le milieu végan garde parfois ses distances avec le monde médical et évolue en vase clos avec ses propres experts, ce qui pose de réels problèmes. 
    • Le manque de choix végétaliens en dehors des grandes centres urbains. Peu de restaurants proposent des choix végétaliens dans les régions rurales ce qui conduit les végétaliens à ne pas manger équilibré quand ils sont hors du domicile. En 2012 en Suisse 40% des dépenses liées à l’alimentation concernaient des repas pris hors du domicile (1), ce qui fait un certain nombre de repas non équilibrés dans des régions rurales qui ne proposent que peu de plats végétaliens au restaurant, à l’emporter et même dans les grandes surfaces.

Pourquoi les recommandations nutritionnelles destinées aux végétaliens ne sont pas toujours suivies par ces derniers ?

Nicolas : J’y vois principalement deux raisons : le manque d’accès aux informations de qualité et la désinformation. Pour la première, il faut bien comprendre que toutes celles et ceux qui veulent suivre un régime végétalien ne vont pas forcément voir un.e diététicien avant de commencer. Il faut savoir que les consultations diététiques ne sont pas prises en charge par l’assurance de base, pour ce genre de motif (transition vers une alimentation végétalienne). La seconde prend racine sur les réseaux sociaux, lorsque les influenceur.se.s s’improvisent experts en nutrition. Par exemple, il n’est pas rare de voir des posts sur Instagram qui vous recommandent de consommer de la cannelle pour couvrir vos besoins en calcium car elle en contient beaucoup (1000 mg pour 100g). Mais avez-vous déjà essayé de consommer ne serait-ce que 10 g de cannelle ? Cela correspond à un tiers du petit pot d’épices que vous avez dans votre placard. On trouve aussi le même genre de post pour le fer ou les protéines.

Simon: Deux raisons peuvent expliquer ce phénomène : premièrement, le changement d’alimentation se fait le plus souvent brutalement après une prise de conscience (reportage choc, conférence, vidéo d’abattoir, etc) et sans réelle connaissance en nutrition. Cela a d’ailleurs été le cas des deux végétaliens interviewés par TOPO dans un article précédent (2). S’en suivent alors plusieurs semaines ou mois de régime végétalien souvent mal conduit avant une deuxième prise de conscience : il n’est pas possible de supprimer une catégorie complète d’aliments, les aliments protéinés (viande, poisson, oeuf, fromage et autres produits laitiers, etc), sans conséquence sur la santé. La suppression sans action pour la suppléer et sans connaissances nutritionnelles conduit inévitablement à des carences. C’est régulièrement au terme de cette deuxième prise de conscience que les végétaliens sont demandeurs de conseils et viennent consulter. Beaucoup plus rarement lors de la première. 

La seconde raison concerne les experts auto-proclamés soit sur internet, soit dans les milieux intéressés qui répandent régulièrement de fausses informations. La nutrition reste avant tout une science et non une opinion.

Quelles sont les catégories à risque pour lesquelles il faut se montrer prudent avec un régime végétalien ?

Nicolas : Les individus considérés comme étant à risque sont les enfants et adolescent.e.s, les femmes enceintes et allaitantes, les personnes âgées ainsi que les individus souffrant de pathologies chroniques. Lorsque l’on dit qu’ils sont “à risque”, il faut comprendre par là qu’ils traversent une phase (croissance, grossesse, lactation) durant laquelle leurs besoins nutritionnels sont accrus. Une alimentation 100 % végétalienne correctement planifiée peut subvenir à ces besoins accrus. Le risque, c’est si elle devait être mal planifiée durant ces phases (par exemple, un retard staturo-pondéral chez l’enfant).

Simon: Les 3 groupes considérés comme à risque sont particulièrement les enfants en bas âge (moins de 3 ans), les femmes enceintes et les femmes allaitantes. On pourrait également rajouter les personnes âgées et les adolescents. Toutes ces personnes ont, pour différentes raisons, des besoins accrus en macro et micronutriments. Je serais très prudent dans le fait de suivre une alimentation exclusivement végétalienne pour ces populations. Dans tous les cas, je les encourage à trouver un professionnel de santé pour les suivre et leur donner les outils pour éviter le plus possible des complications en lien avec leur alimentation.

Le végétalisme doit-il être déconseillé aux jeunes parents qui souhaitent le proposer à leurs enfants ?

Nicolas : L’Académie de Nutrition et Diététique (USA) considère qu’une alimentation végétalienne correctement planifiée est adéquate à tous les stades de la vie (3). En revanche, la Commission fédérale de la nutriiton et la Société suisse de pédiatrie déconseillent l’alimentation végétalienne pour les nourrissons et les enfants (4,5). Je considère toutefois que la déconseiller aux parents qui souhaitent nourrir ainsi leurs enfants est contre-productif. Cela risque d’impacter négativement la relation thérapeutique entre les parents et le professionnel de santé (6). De plus, les parents pourraient se tourner vers d’autres individus qui leur diront oui mais qui ne sont pas compétents dans le domaine de la nutrition. Je pense qu’il vaut mieux les accompagner dans leur démarche, les rediriger vers un.e diététicien.ne et effectuer des contrôles périodiques chez le pédiatre.

Simon: On sait peu de choses sur la prévalence des nourrissons et des enfants suivant un régime végétalien en Suisse. Le principe de précaution s’impose donc. Les parents doivent avoir conscience que les aliments donnés à cet âge seront la base de l’organisme de l’enfant qui connaît un développement très rapide. Toute carence, même sur une courte période peut avoir des conséquences irréversibles sur le développement de l’enfant. 

Les recommandations vont dans le sens d’éviter un régime végétalien exclusif chez les enfants en bas âge (0 à 3 ans) (5). Il est donc dans un premier temps important de ne pas mettre ce régime sur un pied d’égalité avec un régime omnivore (manger de tout)  en ce qui concerne les enfants en bas âge. Dans un second temps, si des parents souhaitent tout de même l’imposer à leur enfant, il est du devoir de chaque professionnel de les informer des risques encourus dans cet âge crucial pour le développement de l’enfant. La pratique nous montre cependant que le risque est trop grand que le régime soit conduit de toute manière, sans supervision médicale et/ou nutritionnelle. Une fois les parents informés, il est donc important de maintenir cette relation de confiance qu’il existe avec les parents afin que le suivi soit fait dans les meilleures conditions. 

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