Cet article avait initialement été écrit en 2015 après un travail de recherche au CHUV et alors qu’un flou juridique permettait aux boissons au soja de s’appeler « lait de soja ». Depuis, les produits à base de soja ont recommencé à faire parler d’eux, notamment pour les isoflavones qu’ils contiennent et leurs effets sur le système reproducteur et la fertilité. En mars 2025, dans un rapport qui a fait l’effet d’une bombe en France, l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (ANSES) recommande aux entreprises de restauration collective de ne plus servir de produits à base de soja (1). On parle ici des boissons et yogourts au soja, du tofu, du tempeh et des substituts de viande, des produits contenant de la farine de soja et, même si ils ne sont pas consommés en restauration collective, nous pouvons étendre cette liste aux compléments alimentaires (barres et protéines en poudre) à base de soja. Force est de constater que les conclusions préliminaires de 2015 étaient pertinentes, ce qui explique sans doute pourquoi il s’agit de l’article le plus lu du site. Vous trouverez ci-dessous l’article rédigé il y a plus de 10 ans avec une mise à jour faite suite au changement de la loi sur l’appellation des boissons au soja en Suisse.
Le lait de soja
Le lait de soja, ou plus justement « boisson » ou « drink au soja », est un nouveau venu dans les grandes surfaces, alors qu’il était auparavant réservé à certains nourrissons et presque uniquement disponible en magasin spécialisé ou en pharmacie. Il se compose de fèves de soja décortiquées mélangées avec de l’eau. Le mélange contenant les fèves ramollies est ensuite broyé puis chauffé pour séparer le lait de la membrane de la fève. C’est ainsi qu’on obtient un lait de soja nature, sans sucre, sans sel et avec un goût qui surprend souvent le consommateur, c’est pourquoi les préparations sont donc le plus souvent sucrées et/ou aromatisées.
« Lait de soja », « Boisson au soja », « Drink au soja » ?
Mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde, comme disait Camus. Si vous avez eu, comme je l’ai eu pendant mes études, l’ordonnance du DFI sur les denrées alimentaires d’origine animale (2) comme livre de chevet, on y trouve l’explication de ce qui peut être appelé « lait« :
« Le lait est le produit de la sécrétion mammaire d’un ou plusieurs animaux classés parmi les mammifères et il est obtenu par une ou plusieurs traites. »
Pour les boissons à base de soja, d’amandes ou de céréales (riz, avoine, etc), l’ordonnance sur les boissons (3) (tout aussi longue et ennuyeuse que la première) propose une appellation spécifique: « drink x » ou « drink à base de céréales x » ou « boisson à base de x ». Il n’est donc pas possible d’utiliser l’appellation « lait » pour ces produits. Un flou juridique a existé jusqu’en 2016 et c’est pour cette raison qu’on trouvait en Suisse des boissons au soja commercialisées sous l’appellation « lait de soja ». Le problème a été réglé depuis : le lait vient d’un mammifère et pour le reste, il y a des appellations spécifiques.
Boisson au soja vs Lait de vache
Comparons 2 boissons au soja que l’on trouve dans le commerce avec du lait de vache.
Sur le papier, les boissons au soja semblent avoir des valeurs nutritionnelles proches du lait de vache avec une bonne teneur en protéines et en calcium. L’un des inconvénients reste son absence de Calcium sans enrichissement. A l’état naturel, le lait de soja n’en contient pas. Même si les industriels l’enrichissent le plus souvent à hauteur de 120mg/100ml, la biodisponibilité du Calcium dépend de plusieurs facteurs, notamment du sel de Calcium utilisé pour l’enrichissement. Le lait de vache contient également du lactose qui facilite l’absorption du calcium, ce qui n’est pas le cas des boissons au soja.
Une consommation exclusive de boissons au soja non enrichies peut donc conduire à des carences en calcium dont les conséquences sont connues, notamment une détérioration du capital calcique osseux. En Suisse, plus 3/4 des apports en Calcium proviennent des produits laitiers, d’où l’intérêt de ne pas devenir un fervent opposant aux produits laitiers. Il existe un juste milieu entre boire 1l de lait tous les jours et tout balayer d’un revers de main, à commencer par savoir sélectionner les bons produits laitiers. A relire à ce sujet notre article sur les alternatives aux produits laitiers pour couvrir les besoins en Calcium.
Les effets de la consommation de soja
Du point de vue purement nutritionnel, le soja et les produits qui en sont issus présentent plusieurs intérêts :
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- Un apport de protéines végétales de bonne qualité avec un profil d’acides aminés essentiels presque complet, à l’exception de la méthionine (ce qui peut poser problème chez les nourrissons).
- Un profil d’acides gras intéressant car le soja ne contient pas de cholestérol, très peu d’acides gras saturés et bénéficie d’un bon ratio oméga3/oméga 6.
- Le lait de soja ne contient pas de lactose et constitue ainsi une bonne alternative pour les personnes intolérantes.
- Un substitut au lait de vache intéressant pour les enfants allergiques aux protéines bovines, les végétaliens ainsi que les personnes qui n’en consomment pas pour des raisons diverses.
Les phyto-œstrogènes
Le cœur du sujet concerne les phyto-œstrogènes. Il s’agit de substances végétales présentent dans le soja (comme les isoflavones) et qui peuvent développer des effets similaires aux œstrogènes. Un certain nombres d’études vont dans le sens d’un impact positif d’une alimentation contenant des phyto-œstrogènes sur les maladies chroniques comme les maladies cardiovasculaire, le cancer, le diabète et sur les effets de la ménopause (4, 5, 8) :
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- Réduction des risques de cancer par les propriétés antioxydantes
- Diminution du cholestérol total et LDL, des triglycérides et du risque de maladies cardiovasculaire.
- Meilleure sensibilité à l’insuline.
- Diminution du risque de cancer du sein.
- Diminution aléatoire des symptômes de la ménopause.
Toutes ces études ne permettent cependant pas de démontrer clairement les effets ci-dessus, avec des conclusions proches de celles des études sur le végétarisme. Est-ce que les bienfaits constatés sont uniquement dus à la consommation de phyto-œstrogènes ou à d’autres facteurs allant dans le sens des recommandations, qu’on retrouve chez les consommateurs de soja ? Difficile de répondre clairement. Il y a par contre un point sur lequel il y a beaucoup moins d’hésitations. Comme les phyto-œstrogènes peuvent moduler les réactions hormonales, ils ne sont pas sans conséquence, en particulier pour certaines populations dites « à risque » :
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- Les nourrissons et les enfants en bas-âge (moins de 3 ans)
- Les femmes enceintes et allaitantes
- Les personnes ayant des antécédents de cancer hormono-dépendant
- Les personnes traitées pour des problèmes d’hypothyroïdie
Ces 4 catégories des personnes sont particulièrement sensibles aux fluctuations hormonales qui peuvent être engendrées par la consommation de produits contenant des phyto-œstrogènes. On ne saurait donc les leur recommander sauf sur conseil du médecin dans des situations spécifiques (6-7).
Et la fertilité ?
Concernant les effets des phyto-œstrogènes sur les hommes et la fertilité, même si des problèmes d’infertilité ont été constatés dans des études faites sur les animaux, aucune n’a permis de démontrer les mêmes effets chez l’homme. Si on se concentre sur la fertilité masculine, sur le volume et la qualité du sperme, il n’y aurait théoriquement aucun problème(9-11). Ces études n’ont cependant pas été réalisées sur le long terme (pas plus de quelques mois) et toutes indiquent la nécessité d’analyses plus poussées. Mais les études se sont pas unanimes et on trouve tout autant d’études qui montrent cette fois-ci des effets délétères sur la fertilité, particulièrement chez l’homme (13-15).
Un principe cher en nutrition, le principe de précaution, qui veut « qu’à défaut de savoir on s’abstient », pourrait être invoqué dans le cas des phyto-œstrogènes : du tofu une fois de temps en temps ou un verre de boisson au soja nature si vous aimez ça mais aucune catégorie de la population (tout particulièrement les populations à risque) ne devrait en consommer de manière régulière, encore moins l’instaurer de manière systématique en restauration collective sous prétexte de « végétaliser les assiettes ».
Derrière cette recommandation qui peut sembler légère voire simpliste, un rapide calcul permet de se rendre compte de la problématique. La limite supérieure de sécurité (quantité journalière maximale à partir de laquelle il y a un risque d’effets indésirables sur la santé) a été fixée à 1mg/kg/jour d’Isoflavones pour les adultes (4,12). Cela représente une quantité maximum de 70mg par jour pour une personne de 70 kg. Le tofu contenant entre 30 et 40mg d’Isoflavones pour 100g, cette limite est donc très rapidement dépassée, ne serait-ce qu’avec 200g de tofu. Et c’est sans tenir compte de la consommation d’autres produits à base de soja. Le problème est donc le suivant :
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- On note des grandes différences de concentration en isoflavones dans les produits commercialisés en Suisse avec des aliments qui dépassent régulièrement les limites autorisées, y compris pour des adultes en bonne santé (voir enquête d’ABE ci-dessous).
- On constate une variété toujours plus grande de produits contenant du soja : boisson au soja, tofu, tempeh, flocons de soja, farine, yogourt, edamame, substituts de viande, protéines en poudre, crackers, chips, barres, etc.
- La teneur en isoflavones n’est pas indiquée sur les produits vendus dans le commerce et il est impossible pour le consommateur d’évaluer sa consommation.
La limite de 1 mg/kg/j est donc très facilement dépassée sans le savoir, particulièrement chez les enfants, et on ne parle ici que du problème des isoflavones. Il existe d’autres perturbateurs endocriniens qui peuvent avoir des effets sur la fertilité.
Conclusion
Bien que le soja comporte un intérêt et des bénéfices pour la santé, sa consommation n’est pas sans risque:
- Il s’agit d’un des aliments les plus allergènes, bien plus que le lait de vache
- Pour les boissons au soja (et toute les alternatives végétales au lait), les carences en calcium ne sont pas si rares si le produit n’est pas enrichi, notamment chez les personnes qui décideraient de ne plus consommer de produits laitiers.
- Il existe des populations à risque à qui on ne saurait conseiller les produits à base de soja : les femmes enceintes, les femmes allaitantes, les nourrissons et les enfants de moins de 3 ans ainsi que les personnes ayant des antécédents de cancer hormono-dépendant.
- La plupart des boissons au soja contiennent des sucres ajoutés, des additifs et sont à classer dans la catégorie des aliments ultra-transformés. Les enquêtes de consommation montrent que ce sont principalement ces produits qui sont consommés, les boissons végétales « natures », non aromatisées et sans sucre ajouté, sont souvent délaissées pour des questions de goût.
- A l’exception du tofu et du tempeh nature, la grande majorité des autres produits à base de soja sont également ultra-transformés avec tous les inconvénients et les risques pour la santé qui y sont associés.
Finalement, pour les catégories de la population considérées comme « non à risque », les études montrent que les quantités d’isoflavones dans les aliments sont régulièrement supérieures aux limites autorisées et que les quantités consommées sont trop importantes. Il parait donc urgent d’appliquer le principe de précaution et de limiter la consommation de ces produits car les conséquences sur le système reproducteur et la fertilité restent encore loin d’être claires et établies.
Je vous invite à revoir l’émission A Bon Entendeur, parue en août 2020 qui a analysé des produits à base de soja disponibles dans le commerce en Suisse. Plus de la moitié contenaient des quantités d’isoflavones supérieures aux recommandations, dont un certain nombre à déconseiller même aux adultes en bonne santé.
Sources:
- 1. https://www.anses.fr/fr/content/eviter-les-isoflavones-dans-les-menus-des-restaurations-collectives
- 2. https://lex.weblaw.ch/lex.php?norm_id=817.022.108&source=SR&lex_id=3480&file=fr-pdf_file_a.pdf
- 3. https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2017/220/fr
- 4. https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT-Ra-Phytoestrogenes.pdf
- 5. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23318879/
- 6. https://www.paediatrieschweiz.ch/fr/prise-de-position-pour-lutilisation-de-preparations-pour-nourrissons-a-base-de-proteines-de-soja/
- 7. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2661348/.
- 8. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19433245/
- 9. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19524224/
- 10. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20378106/
- 11. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19819436/
- 12. https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2017/180/fr?version=20240201&print=true
- 13. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18650557/
- 14. https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC5188409/
- 15. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26565435/
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