Cet article avait été initialement écrit en 2015 après un travail de recherche au Centre Hospitalier Universitaire de Lausanne (CHUV) et alors qu’un flou juridique permettait encore aux boisson aux soja de s’appeler « lait de soja ». Quelques années plus tard , les produits à base de soja recommencent à faire parler d’eux, notamment pour les isoflavones qu’ils contiennent et leurs effets sur la santé. Force est de constater que les conclusions préliminaires de 2015 étaient pertinentes, ce qui explique sans doute pourquoi il s’agit de l’article le plus lu du site. Vous trouverez ci-dessous une version mise à jour, suite notamment au changement de la loi sur l’appellation des boissons au soja en Suisse. Bonne lecture.

Pour certains une boisson magique réduisant les effets de la ménopause (ça ne me parlait pas beaucoup), pour d’autres une boisson qui porterait atteinte à la fertilité des hommes (je me sentais déjà plus concerné). Il était temps de tirer au clair les mythes qui circulent sur le lait de soja, qui rappelons-le, est plutôt un nouveau venu dans les grandes surfaces, alors qu’il était auparavant réservé à certains nourrissons et presque uniquement disponible en magasin diététique.

Lait de soja — Wikipédia

Le lait de soja, c’est quoi?

Le lait de soja, ou plus justement boisson ou drink au soja (nous y reviendrons ci-dessous) se compose de fèves de soja décortiquées et mélangées avec de l’eau. Le mélange contenant les fèves ramollies est ensuite broyé puis chauffé pour séparer le lait de la membrane de la fève. C’est ainsi qu’on obtient un lait de soja sans sucre, sans sel et sans goût. Les préparations au soja sont le plus souvent sucrées et/ou aromatisées (avec du cacao ou de la vanille par exemple) pour répondre à la demande des consommateurs.

« Lait de soja », « Boisson au soja », « Drink au soja » ?

Commençons par nommer les choses correctement. Si vous avez, comme je l’ai eu pendant mes études, l’ordonnance du DFI sur les denrées alimentaires d’origine animale comme livre de chevet. C’est là qu’on trouve l’explication claire de ce qui peut être appelé « lait« :

« Le lait est le produit de la sécrétion mammaire normale d’un ou plusieurs animaux classés parmi les mammifères et il est obtenu par une ou plusieurs traites. »

Pour les boissons à base de soja, d’amandes ou de céréales (riz, avoine, etc), l’ordonnance du DFI sur les boissons (aussi longue et ennuyeuse que la première) propose une appellation spécifique:  drink x ou drink à base de céréales x ou boisson à base de x. Il n’est donc pas possible d’utiliser l’appellation « lait » pour ces produits. Un flou juridique sur les boissons au soja a existé jusqu’en 2016. C’est pour cette raison qu’on trouvait en Suisse des boissons au soja commercialisées sous l’appellation « lait de soja ». Le problème a été réglé depuis. Le lait vient d’un mammifère, pour le reste, il y a des appellations spécifiques.

Boisson au soja vs lait de vache

Comparons 2 laits de soja que l’on trouve dans le commerce avec du lait de vache.

Sur le papier, les boissons au soja semblent avoir des valeurs nutritionnelles proches du lait de vache avec une bonne teneur en protéines et en calcium.

L’un des inconvénients des drinks au soja reste son absence de Calcium sans enrichissement. A l’état naturel, le lait de soja n’en contient pas. Même si les industriels l’enrichissent le plus souvent à hauteur de 120mg/100ml, la biodisponibilité du Calcium du soja dépend de plusieurs facteurs, notamment du sel de Calcium utilisé pour l’enrichissement. Le lait de vache contient également du lactose qui facilite l’absorption du calcium, ce qui n’est pas le cas des boissons au soja.

Une consommation exclusive de boissons au soja non enrichies peut conduire à des carences en calcium dont les conséquences sont connues, notamment une détérioration du capital calcique osseux. En Suisse, plus 3/4 des apports en Calcium proviennent des produits laitiers. D’où l’intérêt de ne pas devenir un fervent opposant à tous les produits laitiers. Il existe un juste milieu entre boire 1l de lait tous les jours et tout balayer d’un revers de main. A commencer par savoir sélectionner les bons produits laitiers.

A relire, l’article rédigé à la suite de mon mémoire de fin d’étude sur les alternatives aux produits laitiers pour couvrir les besoins en Calcium

Les bienfaits du soja

Du point de vue purement nutritionnel, le soja a aussi des bienfaits :

  • Un apport de protéines végétales de bonne qualité avec un profil d’acides aminés essentiels presque complet, à l’exception de la méthionine, ce qui peut poser problème chez les nourrissons.
  • Un profil des acides gras intéressant puisque le soja ne contient pas de cholestérol, très peu d’acides gras saturés et bénéficie d’un bon ratio oméga3/oméga 6.
  • Le lait de soja ne contient pas de lactose et constitue ainsi une bonne alternative pour les personnes intolérantes.
  • Un excellent substitut au lait de vache pour les personnes allergiques aux protéines bovines, les végétaliens ainsi que les personnes qui n’en consomment pas pour des raisons idéologiques, personnelles ou religieuses.

Les phyto-oestrogènes

Venons-en au cœur du sujet, les phyto-oestrogènes .  Il s’agit de substances végétales présentent dans le soja (comme les isoflavones par exemple) et qui  peuvent développer des effets similaires aux œstrogènes (hormones féminines).

Un grand nombres d’études vont dans le sens d’un impact positif d’une alimentation contenant des phyto-œstrogènes sur les maladies chroniques comme les maladies cardiovasculaire, le cancer, le diabète et sur les effets de la ménopause :

  • Réduction des risques de cancer par les propriétés antioxydantes
  • Diminution du cholestérol total et LDL (le mauvais), des triglycérides et  du risque de maladies cardiovasculaire.
  • Meilleure sensibilité à l’insuline
  • Diminution du risque de cancer du sein
  • Diminution aléatoire des symptômes de la ménopause

Mais, toutes ces études ne permettent pas de démontrer clairement les effets ci-dessus. Nous arrivons à la même conclusion qu’avec les études sur le végétarisme. Est-ce que les bienfaits constatés sont uniquement dus à la consommation de phyto-œstrogènes ou à d’autres facteurs allant dans le sens des recommandations, présents chez les consommateurs phyto-oestrogènes ? Difficile de répondre clairement.  Il y a par contre un point sur lequel il y a beaucoup moins d’hésitations. Comme les phyto-oestrogènes peuvent moduler les réactions hormonales, ils ne sont pas sans conséquence, en particulier pour certaines populations à risque :

  1. les nourrissons et enfants en bas-âge (<2-3ans)
  2. les femmes enceintes et allaitantes
  3. Les personnes ayant des antécédents de cancer hormono-dépendant

Ces 3 catégories des personnes sont particulièrement sensibles aux fluctuations hormonales qui peuvent être engendrées par la consommation de produits contenant des phyto-oestrogènes. On ne saurait donc les leur recommander sauf sur conseil du médecin dans des situations spécifiques.

Et la fertilité des hommes ?

Le point qui m’a le plus intéressé : les effets des phyto-œstrogènes sur les hommes et leur fertilité. Même si des problèmes d’infertilité ont été constatés dans des études faites sur les animaux, aucune n’a permis de démontrer que le soja ait les mêmes effets néfastes chez l’homme : volume et qualité du sperme, il n’y aurait aucun problème. Ces études n’ont cependant pas été réalisées sur le long terme (pas plus de 3 mois) et toutes indiquent la nécessité d’analyses plus poussées. Un principe cher à la nutrition, le principe de précaution, qui veut qu’à défaut de savoir on s’abstient, pourrait être invoqué dans le cas des phyto-œstrogènes : du tofu une fois de temps en temps ou un verre de lait soja si vous aimez ça mais les hommes ne devraient pas en abuser.

Derrière cette recommandation qui peut sembler légère est simpliste, un rapide calcul permet de se rendre compte de la problématique. La limite supérieure de sécurité (quantité journalière maximale à partir de laquelle il y a un risque d’effets indésirables sur la santé) a été fixée à 1mg/kg/jour d’Isoflavones. Cela représente une quantité maximum de 70mg par jour pour une personne de 70 kg. Le tofu contenant entre 30 et 40mg d’Isoflavones pour 100g, cette limite est donc très rapidement dépassée, ne serait-ce qu’avec 200g de tofu. Et c’est sans tenir compte de la consommation d’autres produits à base de soja (boisson au soja, flocons de soja, yogourt au soja, edamame, substitut de viande, etc). Le problème est donc le suivant :

  • On note des grandes différences de concentration en isoflavones dans les produits (voir enquête ABE ci-dessous).
  • On constate une variété toujours plus grande de produits contenant du soja (tofu, flocons de soja, yogourt, edamame, substituts de viande, etc).
  • La teneur en isoflavones n’est pas indiquée sur les produits vendus dans le commerce.

La limite de 1 mg/kg/j est donc très facilement dépassée sans le savoir et on ne parle ici que du problème des isoflavones. Il existe d’autres perturbateurs endocriniens qui peuvent avec des effets sur la fertilité masculine.

 

Conclusion

Vous l’aurez compris, on a pas encore trouvé l’aliment miracle qui contiendrait tous les nutriments et toutes les vitamines nécessaires au bon fonctionnement de notre corps. Les boissons et tous les aliments à base de soja ne dérogent pas à cette règle. Il n’y a aucun problème à les intégrer dans son alimentation mais ça serait une erreur de chercher à en consommer de manière exclusive.

De nombreuses études démontrent les bienfaits d’une alimentation contenant des phyto-oestrogènes. Mais bien que le lait de soja comporte de nombreux bénéfices, il n’est cependant pas sans risque:

  • Le soja est un des aliments les plus allergènes, bien plus que le lait de vache
  • Les carences en calcium ne sont pas impossible si le produit n’est pas enrichi. Je pense notamment  aux personnes qui décideraient de ne consommer que ces produits.
  • Il y a des populations à risque à qui on ne saurait conseiller les produits à base de soja: les femmes enceintes, les femmes allaitantes, les nourrissons et les personnes ayant des antécédents de cancer hormono-dépendant.
  • De nombreuses boissons au soja contiennent des sucres ajoutés et les enquêtes montrent que ce sont principalement ces produits qui sont consommés. Les boissons au soja « natures », non aromatisées et sans sucre ajouté, sont souvent délaissées pour des questions de goût.  Or ce sont celles-là, si elles sont enrichies en Calcium, qui peuvent être intéressantes.
  • Principe de précaution, les hommes devraient limiter la consommation de ces produits. Les conséquences sur la fertilité restent encore loin d’être claires et établies.

A revoir à ce sujet l’émission A Bon Entendeur, parue en août 2020 qui a analysé des produits à base de soja disponibles dans le commerce en Suisse. Constat : plus de la moitié contenaient des quantités d’isoflavones supérieures aux recommandations, parfois même à déconseiller aux adultes. Le principe de précaution s’impose, même si les autorités n’ont pas encore pris position sur le sujet.

Sources:

  • Afssa(2005): Sécurité et bénéfices des phyto-estrogènes apportés par l’alimentation – Recommendations : https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT-Ra-Phytoestrogenes.pdf
  • http://www.afsca.be/comitescientifique/avis/2009/_documents/AVIS29-2009_FR_DOSSIER2007-7bis.pdf
  • Alois Jungbauer, Svjetlana Medjakovic (2012): Phytoestrogens and the metabolic syndrome. Review in Journal of Steroid Biochemistry and Molecular Biology 139 (2914) 227-289
  • Commission de Nutrition de la Société Allemande de Pédiatrie. (2006).Prise de position pour l’utilisation de préparation pour nourissons à base de protéines de soja. Paediatrica, 17 (N.5), 20-22 : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2661348/
  • Christopher R. Cederroth, Serge Nef (2009): Soy, phytoestrogens and metabilism: A review. Review in Molecular and Cellular Endocrinology 204 (2009), 30-42
  • Khalid Zaheer & M. Humayoun Akthar (2015):. An updated Review of Dietary Isoflavones: Nutrition, Processing, Bioavailability and Impacts on Human Health, Critical Reviews in Food Science and Nutrition, DOI: 10.1080/10408398.2014.989948
  • https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2661348/
  • Hamilton-Reeves JM et al. (2010):Clinical studies chow no effects of soy protein or isoflavones on reproductive hormones in men: results of a meta-analysis.
  • Soybean isoflavone exposure does not have feminizing effects on men: a critical examination of the clinical evidence. Mars Messina. 2010 : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20378106/
  • Soy protein isolates of varying isoflavone content do not adversely affect semen quality in healthy young men. Laura K BeatonBrianne L McVeighBarbara L DillinghamJohanna W Lampe, Alison M Duncan. 2010 : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19819436/

  • Roberfroid, M. Aliments fonctionnels. Lavoisier; 2002