Légumes bio, poulet bio, Ketchup bio mais également chips et gâteaux, le bio a envahi les supermarchés et n’est plus un phénomène marginal comme il pouvait l’être il y a encore quelques années. Plus de 35% des consommateurs achètent des aliments bio plusieurs fois par semaine en Suisse (1), un chiffre qui ne cesse d’augmenter avec les années. Les aliments issus de l’agriculture biologique ont de plus en plus la cote auprès des consommateurs que ce soit pour des raisons  de santé, d’impact environnemental, de contamination par les pesticides, de bien-être des animaux ou de boboïte aiguë. À l’heure où notre alimentation semble devenir de plus en plus néfaste pour notre santé, nous pourrions nous dire qu’il y a de bonnes raisons de passer au bio. Est-ce que le bio est vraiment meilleur pour la santé? Question simple mais ambitieuse à laquelle nous allons tenter de répondre dans cet article.

Posons le cadre

Le terme « bio », diminutif de « biologique », fait références aux aliments issus de l’agriculture biologique (jusque-là, rien de compliqué). L’agriculture biologique est un des deux modes de production agricole en Suisse, le second étant l’agriculture intégrée (aussi appelée agriculture extensive). Arrêtons nous quelques instants sur ces deux modes de production :

L’agriculture intégrée ou extensive

Elle représente plus de 3/4 des exploitations dans notre pays et se définit comme « un système agricole qui utilise des ressources et des mécanismes de régulation naturels pour remplacer des apports dommageables à l’environnement et qui assure à long terme une agriculture viable (2) ». Qu’est-ce que ça veut dire concrètement? On cherche à conserver la fertilité des sols, à garantir la biodiversité de l’environnement, à réglementer l’utilisation de pesticides ou des engrais tout en privilégiant des conditions d’élevage respectueuses des animaux. L’utilisation de pesticides est par exemple autorisée mais réglementée de manière stricte. On ne va pas se mentir, bien que limités, les pesticides et autres engrais chimiques servent à augmenter les rendements et répondre aux exigences de l’industrie agroalimentaire et des consommateurs. Oui, il faut encore que les fruits et les légumes soient calibrés et beau esthétiquement. Personne n’a compris qu’une aubergine brillante au point que vous puissiez vous maquiller dedans ou une pomme Gala digne de Blanche Neige et les Sept Nains ça ne devrait exister que dans les dessins animés. Rectification, ça ne devrait pas exister du tout !

L’agriculture biologique

Elle représente plus de 13% de la surface agricole en Suisse (3). Prenez les directives de l’agriculture intégrée, ajoutez y une politique très stricte en matière de développement durable, d’utilisation de pesticides et d’écologie et vous avez les grands principes de l’agriculture biologique. Exit donc les pesticides et les OGM, mais pas uniquement. L’agriculture biologique répond à un cahier des charges spécifique, plus ou moins stricte selon les pays. Celui de la Suisse, par exemple, est particulièrement réglementé. De ce fait, un aliment bio d’Afrique du Sud ou du Guatemala n’a pas grand chose à voir avec un aliment bio cultivé en Suisse. Nous y reviendrons tout à l’heure.

Un des grands principes de l’agriculture biologique est le principe de précaution: A défaut d’avoir des études fiables qui démontrent l’innocuité d’une substance, on s’abstient tout simplement de l’utiliser. Comme le disait mon professeur d’agronomie, ce n’est pas parce que nous n’avons pas réussi à prouver qu’une substance est nocive pour la santé, qu’elle est sans danger.

La charte de l’agriculture biologique en Suisse est longue et complexe mais elle peut être résumée au travers des 6 directives suivantes (1):

  • Une exploitation entièrement bio et pas uniquement une partie ou une parcelle. On parle de cycle fermé naturel.
  • Des méthodes d’élevage adaptées aux espèces : les animaux vivent en petits groupes et disposent d’un parcours en plein air, même en hiver. Les directives sur l’alimentation de ces mêmes animaux sont également très strictes.
  • Interdiction d’utiliser des engrais chimiques et des pesticides.
  • Promotion de la biodiversité grâce au recours à des méthodes de production respectueuses de la nature et de l’environnement.
  • Interdiction du transport par avion tout comme l’utilisation des organismes génétiquement modifiés (OGM)
  • Traitement indulgent sans ajout de colorant ou d’arôme (additifs alimentaires)

Et l’agriculture intensive?

Si vous ne deviez retenir qu’une chose de cet article et en tirer les conclusions nécessaires c’est bien ce qui suit: nous n’avons pas d’agriculture intensive en Suisse contrairement à nos voisins. L’agriculture intensive est un mode de production qui a pour but d’obtenir le plus grand rendement par unité de surface et ceci souvent au détriment de la biodiversité, d’une gestion durable des ressources et de l’écologie. On pense notamment aux États-Unis et leurs monocultures sur des surfaces gigantesques avec l’utilisation massive de produits chimiques et d’OGM, mais ça se passe aussi bien plus proche de chez nous. En Suisse, nous n’avons pas recours à ce mode de production, car notre politique agricole privilégie des modes de production plus respectueux de l’environnement.

Introduction un peu longue je vous l’accorde, mais à mon avis nécessaire pour se faire une opinion en toute connaissance de cause.

 

Pourquoi consommer bio?

En 2016, le bio représentait  7,7 % de part de marché (4) (en augmentation par rapports aux années précédentes). Les détracteurs du bio pourraient nous dire que ça ne représente qu’une partie négligeable du marché global en Suisse mais comme nous l’avons vu, plus de 35% des consommateurs achètent des aliments bio plusieurs fois par semaine et certains produits pèsent lourd dans le cadi du consommateur. Le trio de tête nous en donne une idée :

  • Les œufs (24% parts de marché)
  • le pain frais (20.1%)
  • Les légumes (18,6 % en constante augmentation)

Quand on questionne les consommateurs sur les raisons qui les poussent à acheter bio, les questions de santé, l‘absence de produits chimiques, le respect de l’environnement, le bien-être des animaux et un meilleur goût sont les principalement évoquées.

De quel bio parle t’on?

Le nœud du problème se trouve dans les quelques lignes qui suivent. C’est une question que je pose souvent quand on me demande mon avis sur les produits bio: de quel bio est-ce qu’on parle? Du Bio Suisse, du Bio de l’Union Européenne (UE) ou du Bio produits hors-UE ? Des kiwis bios produits dans la campagne vaudoise sont-ils semblables aux kiwis qui viennent d’Amérique du sud ? Et les fraises du Valais comparées à celles qui nous viennent d’Espagne en février? Question fondamentale puisque chaque appellation bio correspond à des directives très différentes d’un pays à l’autre. Et malheureusement, les études portant sur les aliments bio ne tiennent pas compte de ces distinctions. Regardons tout de même ce que dit la science à ce sujet ?

Mythe VS réalité

Il convient de distinguer 2 aspects quand on parle du bio: l’aspect toxicologique (teneur en pesticides, produits chimiques, etc) et l’aspect nutritionnel (richesse en vitamines, minéraux, phytonutriments et le goût).

Aspects toxicologiques

En 2014 le British Journal of Nutrition publie une méta-analyse (343 études analysées) qui établi que les produits issus de l’agriculture biologique contiennent quatre fois moins de pesticides et moins métaux lourds que les aliments issus de l’agriculture conventionnelle (5). Les urines des personnes adoptant une alimentation “bio” contiennent jusqu’à 10 fois moins de résidus de pesticides et un lien entre l’exposition à ces résidus et le surpoids est évoqué. En 2012, les résultats d’une autre méta-analyse nous indiquent que plus de 38% des aliments issus de l’agriculture conventionnelle (intensive et extensive) contiennent des résidus de pesticides contre 7% pour les aliments issus de l’agriculture biologique (6). On notera qu’aucune différence n’a été faite entre l’agriculture extensive (modèle Suisse) et intensive (à l’étranger) dans cette revue et que les aliments bio sont abordés comme un groupe homogène alors que chaque aliment répond à un cahier des charges plus ou moins strictes selon les pays.

Premier constat, les aliments bio sont moins à risque de contamination par des pesticides puisque le mode de production en interdit tout simplement l’usage. Ils ne sont néanmoins pas entièrement protégés et ils peuvent en contenir des traces soit par contamination directe (une parcelle voisine qui contamine une exploitation par exemple) soit indirecte (lors du transport des aliments ou du stockage). A noter également que le risque est encore plus réduit en Suisse pour la simple raison qu’il n’existe pas de ferme bio dont une seule partie soit exploitée de manière biologique ce qui n’est pas le cas à l’étranger. En Suisse, les exploitations sont soit entièrement bio, soit pas du tout.

Quelles sont les conséquences?

Les effets aigus (à court terme) des pesticides sur l’organisme sont bien connus et documentés. Une intoxication peut provoquer une irritation des voies respiratoires et de la peau, des maux de tête, des vomissements, des troubles de la coordination ou une perte de connaissance (7). Mais que se passe t’il si on en ingère en toutes petites quantités sur l’espace une vie? La réponse claire à cette question nous ne l’avons pas et nous ne savons pas grand chose sur leur exposition à long terme. Une exposition chronique aux pesticides favoriserait l’apparition de certains cancers en augmentant le stress oxydatif ou en modifiant les réponses immunitaires et hormonales (8). Certains produits pourraient causer des maladies neurodégénératives comme la maladie de Parkinson (9). D’ailleurs, 3 cancers sont reconnus en tant que maladie professionnelle pour les agriculteurs en France(10) : certaines formes de cancer du foie, des poumons et de la peau.

Est-ce que cela signifie que nous allons tous développer des cancers à notre tour ? Bien sûr que non car les doses auxquelles ont été exposées les agriculteurs n’ont rien à voir avec les résidus de pesticides que nous absorbons, mais de par ce fameux principe de précaution, l’agriculture biologique a décidé de ne pas en utiliser du tout.

 

Aspects nutritionnels

La composition nutritionnelle d’un aliment dépend de nombreux facteurs comme la richesse des sols en minéraux, le stade de maturation au moment de la récolte ou encore la variété de l’aliment et pas uniquement du mode de culture. Lorsque l’on parle de composition nutritionnelle, il nous faut faire une distinction entre la richesse en macronutriments (protéines, glucides, lipides) et en micronutriments (vitamines, minéraux, phytonutriments).

Les macronutriments (protéines, glucides et lipides) constituent, avec l’eau, l’essentiel de notre l’alimentation. Ils nous fournissent les calories, c’est-à-dire l’énergie nécessaire pour assurer une journée de travail. Il s’agit de notre carburant principal.

Les micronutriments (vitamines, minéraux, oligo-éléments) sont présents en petites quantités dans les aliments et ne fournissent pas d’énergie. Ils sont cependant absolument indispensables au fonctionnement de notre corps et au maintien de la vie. 

Si les macronutriments correspondait l’essence que l’on met dans un voiture, les micronutriments joueraient le rôle de l’huile, essentielle en petite quantité pour le moteur.

Il n’existe aucune différences dans la composition nutritionnelles en macronutriments (11) (protéines, glucides et lipides) entre les produits bio et ceux issus de l’agriculture conventionnelle mais certaines études montrent des différences dans la teneur en vitamines, minéraux et phytonutriments (12). Il n’y a cependant pas de consensus à ce sujet mais encore, faudrait-il savoir de quel produits bio nous parlons. Les aliments Bio Suisse par exemple sont cueillis d’avantage à maturité que les produits importés et dans des sols plus riches en certains micronutriments, de part la gestion des sols (pas d’agriculture intensive et une politique agricole plus règlementée).

Comme la teneur en protéines, glucides et lipides ne change pas, les aliments bio ne vous rempliront donc pas plus l’estomac et ne seront pas plus rassasiant comme on peut l’entendre parfois. Pas plus rassasiant peut-être mais ont-ils plus de goût?

Avant d’aborder le goût, quelques mots sur les phytonutriments. Il s’agit de substances présentes principalement dans les végétaux, les oléagineux (amandes, noix noisettes, pignons, etc), les légumineuses ou encore dans le thé, le café et le vin. On parle de caroténoïdes, de flavonoïdes, d’isoflavones ou encore de phytostérols et il n’existe pas d’apports nutritionnels conseillés pour ces substances car elles ne sont pas considérées comme indispensables pour l’être humain. Elles sont d’avantage connues pour leur capacité antioxydante. Comme ces substances ne sont pas indispensables pour l’humain, elles ont été peu étudiées. Cependant, on trouve un certains nombre d’études qui nous montrent que le taux d’antioxydants est plus élevé dans les fruits, légumes et céréales bio (13), tout comme celui des « acides gras de qualité » dans la viande et les œufs bio, mais nous y reviendront tout à l’heure.

 

Et le goût dans tout ça?

Sans doute le point le plus controversé. Il est très difficile de prouver scientifiquement qu’un aliment a plus de goût, et soyons honnête, ce n’est pas évident pour certains produits. Prenons l’exemple des produits bios cultivés en Suisse.

Les aliments cultivés dans les champs grandissent avec le soleil et puisent leurs nutriments et l’eau dans les sols contrairement aux aliments cultivés hors-sol et/ou sur des sols qui ont été épuisés à grand coup d’agriculture intensive. Il semble donc qu’au final ces aliments aient plus de vitamines, de minéraux et d’antioxydants. D’une manière générale ils seront également récoltés d’avantage à maturité que les aliments qui viennent de l’autre bout du monde et ont donc le temps de concentrer les arômes et saveurs, résultant ainsi d’un meilleur goût.

L’argument du goût est donc également à mettre en lien avec la provenance des produits et pas uniquement avec le fait qu’ils soient bio ou non. Cueillis plus tard, ils sont ainsi cultivés plus proche du consommateur qui aura accès à des produits plus frais et qui auront concentré plus d’arômes et de saveurs. Un peu comme les produits de son jardin dont nous n’avons pas beaucoup parlés dans cet article. Les fraises de son jardin sont meilleures, qu’elles soient bio ou non. Y aurait-‘il donc un lien à faire entre le bio et le local? En attendant la deuxième partie, je vous invite à parcourir le rapport sur les connaissances actuelles du bio (14) comme livre de chevet.

A suivre dans la partie 2:

  • Les différents labels et comment savoir si on peut s’y fier (+un guide des labels)
  • La problématique du prix et comment y remédier
  • L’avis du diététicien

  • Conseils pratiques en lien avec le bio

Simon Besse

Références

  1. Coop Naturaplan, faits et chiffres. Disponible:https://www.naturaplan.ch/fr/lamour-de-la-nature/faits-et- chiffres/graphiques-sur-le-theme-du-bio
  2. Office fédéral de la statistique OFS. Agriculture et alimentation : statistiques de poche 2016. Disponible: https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/agriculture- sylviculture/alimentation.assetdetail.350445.html
  3. Confédération Suisse. Ordonnance sur l’agriculture biologique et la désignation des produits et des denrées alimentaires biologiques. Disponible: https://www.admin.ch/opc/fr/classified- compilation/19970385/201501010000/910.18.pdf
  4. BIOSUISSE.  Disponible: http://www.bio-suisse.ch/media/Ueberuns/Medien/BioInZahlen/JMK2016/FR/le_bio_en_chiffres_2016.pdf
  5. Baranski M. and al. Higher antioxidant and lower cadmium concentrations and lower incidence of pesticide residues in organically grown crops: a systematic literature review and meta-analyses. 2014.Disponible: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24968103
  6. Smith- Spangler C, Brandeau M, Hunter G, Clay Bavinger, Pearson M, Eschbach P, et al. Are Organic Foods Safer or Healthier Than Conventional Alternatives? A Systematic Review. 2012. Disponible: http://annals.org/aim/article/1355685/organic-foods-safer-healthier-than-conventional- alternatives-systematic-review
  7. Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail CCHST. Pesticides – Effets sur la santé. 1997 (mis à jour décembre 2016)
  8. Changes in antioxidant enzymes in humans with long-term exposure to pesticides http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0378427407001439)
  9. Berry C, La Vecchia C, Nicotera P. Paraquat and Parkinson’s disease. 2010.
  10. Nicolas Penel, Damien Vansteene, Cancers et pesticides, données actuelles. Bull Cancer 2007 ; 94 (1) : 15-22)
  11. Agence française de sécurité sanitaire des aliments. Evaluation nutritionnelle et sanitaire des aliments issus de l’agriculture biologique. 2003. Disponible : https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT-Ra-AgriBio.pdf
  12. Amiot M, Coxam V, Strigler F. Les phytomicronutriments. Lavoisier, 2012. Disponible: http://prodinra.inra.fr/ft?id=8D7C4F8B-BA61-43A9-B22F-AA6AACFFB183
  13. FSA (Food Standard Agency). Comparison of composition (nutrients and other substances) of organically and conventionally produced foodstuffs: a systematic review of available literature. 2009. Disponible :https://www.mycoloradofood.com/sites/default/files/ckfinder/files/organicreviewappendices.pdf
  14. Bio Suisse. Connaissances Bio – Faits et fondements sur l’agriculture et la transformation biologiques. 2014. Disponible: http://www.bio-suisse.ch/media/Konsumenten/Biowissen/biowissen_f.pdf