Pendant mes études, entre 2013 et 2017, le mouvement végan faisait de plus en plus parlé de lui. Nous n’en étions pas encore aux caillassages des boucheries mais les préoccupations concernant notre consommation de viande commençaient à déteindre hors du mouvement :  lundis sans viande journée mondiale de l’abolition de la viande, veggie pride ou plus récemment le mois Végan, la viande, ou plutôt son absence, occupait une grande partie de l’espace médiatique.

Après avoir été déçu des cours sur le sujet, lors desquels nous n’étions pas sortis des aspects purement nutritionnels, j’ai cherché à comprendre ce mouvement de l’intérieur : débats, livres, et inscriptions dans des groupes de discussion végans. J’ai été confronté à des incohérences et contre-vérités auxquelles personne n’avait réponse que je décidais de consigner mes réflexions au fil des mois. Quelques années et quelques dizaines de pages plus tard, il est temps de remettre ces réflexions au goût du jour et de vous dresser un portait du végétarisme et du végétalisme en 2021.

Où en sont les études (qui ont été nombreuses ces dernières années) et les recommandations sur le sujet ? Que disent la science et les philosophes ? Cet article sera divisé en 2 parties: une première, sur les aspects purement nutritionnels et une seconde sur les questions éthiques et les incohérences du mouvement qui vont bien au delà de la nutrition.

Précision nécessaire

Que je sois végétarien ou végétalien n’a pas d’importance puisque j’enfile ici ma casquette de professionnel de la nutrition. Cependant, comme cette question va m’être posée et que certains ne pourront lire cet article sans avoir la réponse, je ne suis pas végétarien ni végétalien et je ne vais pas militer pour que vous le deveniez. Si je devais me définir, le terme d’omnivore responsable ferait sens. La manière dont nous consommons de la viande à l’heure actuelle est hautement critiquable. Cela signifie-t’il qu’il ne faut pas en manger ? Pas certain, mais nous y reviendrons tout à l’heure.

Être végétarien c’est quoi?

 

Le végétarisme prend racine dans l’Ancien Testament avec un passage bien connu des plus croyants: « Je vous accorde tout herbage, portant graine, sur toute la face de la terre, et tout arbre portant des fruits » (Genèse 1.29). Certains interprètent cet extrait comme une directive du tout puissant à Adam et Eve à ne pas manger de viande.

Les végétariens et végétaliens eux-mêmes n’étant pas unanimes sur la définition, reprenons les bases. La principale caractéristique de l’alimentation végétarienne est d’exclure la consommation de viande et de poisson, jusqu’ici rien de compliqué. Dans certains cas, tous les produits d’origine animale sont exclus (viande, poisson mais également œuf, lait et miel). Il s’agit du régime végétalien. Certaines personnes poussent la réflexion plus loin en décidant d’exclure tout produit qui porte atteinte aux animaux de leur alimentation, mais également des autres domaines de leur vie. Ils ne portent donc pas de laine, pas de cuir et n’utilisent pas de produits cosmétiques testés sur les animaux. Il s’agit des vegan. Comme nous ne traiterons dans cette première partie que du lien avec l’alimentation, laissons ces derniers de côtés pour l’instant.

A noter qu’il existe  une multitude de nuances. C’est ainsi qu’on trouve les lacto-végétariens (qui intègrent les produits laitiers), les ovo-lacto-végétariens (qui intègrent les œufs et les produits laitiers) et les pesco-ovo-lacto végétariens (qui intègrent les œufs, les produits laitiers et le poisson). Nous pouvons résumer tout cela sous la forme d’un tableau:

De combien de personnes parle-t-on ?

Les statistiques sont difficiles à effectuer tant il existe de nuances, mais l’enquête Nationale sur l’Alimentation MenuCH (1) est venu confirmer des études précédentes menées par l’Office Fédérale de la Santé Publique. On compte en Suisse 4-5% de végétariens. Les végétaliens, quant à eux, sont dix fois moins nombreux et représentent environ 0.4% de la population (2). Les statistiques sur les végan sont encore plus difficiles à effectuer et, sans chiffres officiels, nous pouvons simplement en déduire qu’ils sont moins nombreux que les végétaliens. SwissVeg avance de son côté les chiffres de 5.1% de végétariens et 1% de végétaliens avec une étude effectuée sur un échantillon relativement restreint et par un organisme privé (3).

Les enquêtes nous montrent que la majorité des végétariens sont des végétariennes (trois quarts), jeunes (14-34 ans) et qui ont suivi des études supérieures. Selon les chiffres officiels, la Suisse se trouve au troisième rang européen après l’Allemagne et le Royaume-Uni. Le point le plus intéressant de ces statistiques reste l’augmentation du nombre de flexitariens, c’est à dire des omnivores qui cherchent à réduire leur consommation de viande et/ou, pour certains, à privilégier la qualité à la quantité. Ils seraient environ un quart de la population (3).

La première remarque que l’on est en droit de se faire est le décalage qu’il existe entre le traitement médiatique de ces questions et le nombre de personnes que cela concerne: environ 32’000 végétaliens sur tout le territoire suisse (0.4% de la population), encore moins de végans et encore moins de militants actifs puisque selon un sondage effectué par Tier im Fokus (TIF), seuls 44% des végans militent pour le droit des animaux (12).

Pourquoi devenir végétarien?

Une fois la question des chiffres réglée, abordons rapidement les raisons qui peuvent nous faire renoncer à manger de la viande: développement durable, pollution, maltraitance des animaux, meilleure santé, scandales alimentaires, considérations religieuses, il existe presque autant de raisons que de végétariens et de végétaliens mais un constat revient régulièrement: le végétarisme et encore d’avantage le végétalisme, sont des modes de vie qui dépassent le plus souvent le simple choix alimentaire. Ils reposent sur des postulats éthiques, voire philosophiques,  qui ne reconnaissent aucune légitimité, ni nécessité à une exploitation animale. Nous reviendrons plus en détails sur ces principes moraux dans la seconde partie de l’article.

La science du végétarisme

Les 3 principales caractéristiques de l’alimentation végétarienne et végétalienne sont les suivantes :

  • Absence de viande et de poisson (et de tout produit d’origine animale pour les végétaliens).
  • Davantage de protéines d’origines végétales avec une consommation plus importante de légumineuses et de produits céréaliers complets.
  • Davantage de fruits et de légumes.

Les différentes études et recommandations sur les implications de ces régimes sur la santé démontrent une diminution des risques de maladies cardio-vasculaires, de certains cancers et de certaines maladies dégénératives. Les conclusions vont toutes dans le sens qu’une alimentation végétarienne prévient de nombreuses maladies (4) (5).

2 éléments sont importants à retenir :

  • Les végétariens et végétaliens sont d’avantage conscients de leur santé ce qui s’inscrit dans un mode de vie plus sain de manière générale : moins de fumée, moins d’alcool, plus de sport et une alimentation qui va dans le sens des recommandations (6) (plus de fruits et de légumes, plus d’aliments complets, de légumineuses donc une alimentation plus riche en fibres, en antioxydants et en substances protectrices). Ces éléments sont appelés par les scientifiques confondants ou de confusion, soit des facteurs qui peuvent fausser les études et qu’il est très difficile de gommer.
  • La viande majoritairement consommée dans les pays occidentaux est principalement transformée (charcuterie, plats préparés) et issue d’élevages intensifs. La Suisse, malgré l’interdiction de l’élevage intensif sur son territoire reste concernée par cette problématique de part la quantité de viande importée qui est consommée (7) (8) (9). La viande transformée, le plus souvent riche en sel, en acides gras saturés et qui peut contenir des éléments néfastes pour la santé, est une viande qui, d’un point de vue qualitatif, s’éloigne toujours davantage de la viande issue des bovins nourris à l’herbe ou de poulets élevés en plein air et nourris aux grains. Or, la plupart des études ne tiennent pas compte de ce facteur. Seule la consommation de viande vs l’absence de viande est étudiée.

On est donc en droit de se poser 2 questions :

  • Est-ce que l’état de santé des végétariens est vraiment lié au fait qu’ils ne consomment pas de viande ou alors à un mode de vie global qui va dans le sens des recommandations de santé ?
  • Est-ce que les avantages de ces régimes, démontrés dans les études, ne tiennent pas uniquement dans l’absence de viande, mais également dans l’absence des substances néfastes qui sont associées à la viande de mauvaise qualité et plus particulièrement à la viande transformée ?

Quand ces facteurs sont pris en compte, on ne peux  pas affirmer clairement que c’est l’absence de viande qui a un effet protecteur sur la santé.

Protéines et nutriments spécifiques

Une préoccupation qui revient régulièrement dans les débats traitant de l’absence de viande est la quantité de protéines consommées. Soyons clair: un homme n’a pas à tout prix besoin de viande pour vivre mais de protéines. Toute la nuance est là. Même si les protéines sont principalement présentes dans les produits d’origine animale et que, dans l’inconscient collectif, un morceau de viande évoque spontanément des muscles saillants, on ne trouve pas uniquement ces protéines dans la viande et le poisson. Céréales, légumineuses, œufs, fromage, tofu, quorn, seitan, de nombreux aliments d’origine végétale en contiennent en suffisance.

Des sources de protéines végétales variées peuvent fournir un apport quantitatif ET qualitatif suffisant pour couvrir les besoins (2). En somme, les régimes végétariens et végétaliens sont moins riches en protéines mais permettent de couvrir les besoins. Des connaissances nutritionnelles sont cependant nécessaires pour savoir associer les aliments végétaux et savoir où trouver les nutriments essentiels.

Chaque catégorie d’aliments apporte des nutriments spécifiques et on ne peut pas supprimer une catégorie complète sans conséquence. La suppression sans action pour la suppléer et sans connaissances nutritionnelles conduit inévitablement à des carences. Et dans les cas du végétalisme, les risques sont encore plus importants.

L’alimentation végétalienne – qui, rappelons le, exclut tous les produits d’origine animale (oeufs, miel et produits laitiers également) peut entrainer, même à moyen terme, des carences importantes en certains micronutriments (fer, zinc, oméga 3 et vitamine B12). La quasi-totalité des études montrent même que chez les végétaliens, l’apport en vitamine B12 n’est plus assuré par l’alimentation et ne peut donc être assuré que par des compléments alimentaires. La majorité des autres nutriments (fer, calcium, oméga 3, etc.) sont théoriquement fournis, si le régime est conduit parfaitement, par les produits d’origine végétale. A ce sujet, les études précisent toutes que des bonnes connaissances en matière de nutrition sont indispensables (2).

Une remarque qui va au delà des aspects purement nutritionnels, et que nous approfondirons dans la seconde partie : un régime végétalien, qui se veut plus naturel, respectueux de l’environnement et de la nature, n’est possible que dans une société post-moderne qui peut, par différents moyens technologiques, combler les carences induites par ce régime par des suppléments produits en laboratoire. Ce mode alimentaire est également dépendant d’une société mondialisée dans laquelle certains produits (quinoa, tofu, oléagineux, fruits exotiques,…) ne sont accessibles que grâce aux transports internationaux. « La viande, le poisson et les œufs sont inutiles à ta survie » injonction régulièrement faite par les végétaliens n’est valable qu’à certaines conditions très précises.

Conclusion

Malgré toutes les critiques à leur encontre, l’alimentation végétarienne et végétalienne présentent des atouts pour la santé et les études nous montrent qu’il y a du bon à en tirer. Les bienfaits pour la santé sont par contre infiniment plus complexes que la simple absence de viande. Ces bénéfices sont attribués à l’ensemble des modifications entrainées par le choix d’un mode d’alimentation végétarien ou végétalien (moins de fumée, d’alcool, d’avantage de sport) et notamment une alimentation plus riche en facteurs protecteurs et moindre en facteurs délétères.

Conclusion purement nutritionnelle, un régime végétarien et végétalien bien conduit n’entrainent pas de carences en MACRO-nutriments (protéines,  glucides et lipides).  Là ou ça coince, c’est au sujet des MICRO-nutriments (vitamines, minéraux et oligo-éléments), principalement chez les végétaliens. On remarque également une grande différence entre les aspects théoriques et la pratique dans la vie de tous les jours ainsi que ce qui ressort des consultations. De nombreux régimes végétaliens sont mal conduits, de part le manque de connaissances nutritionnelles (conditions indispensables citées dans la quasi totalité des études et recommandations), les fausses croyances largement répandues et le manque de choix végétaliens en dehors des grandes centres urbains.

L’histoire de l’alimentation de l’homme et le bon sens qui en découle m’ont amené à penser tout au long de mes études que les conditions dans lesquelles un animal est élevé, la manière dont il est nourri, son activité physique, son bien-être, les sorties dans les pâturages, jusqu’à la méthode d’abattage, tous ces facteurs ont un impact sur la qualité de la viande qui se retrouve dans notre assiette. Et il se trouve qu’aujourd’hui la science va dans le même sens. Il ne s’agit pas d’étudier la consommation de viande vs l’absence de viande mais bien des conséquences de la consommation de viande de qualité vs de viande transformée sur l’organisme. Et dans ce cas, les études sont infiniment plus claires en incriminant la viande transformée et non la viande fraiche (10) (11).

L’accès à une viande de qualité est à ce jour loin d’être assuré pour l’ensemble de la population. Tout le monde n’a pas les moyens de consommer de la viande dite « bio » ou issue de bêtes nourries à l’herbe dans des conditions proches de leur environnement naturel. Dans ce cas, ne serait-il pas plus judicieux de privilégier la qualité à la quantité, dis plus simplement de consommer de la viande moins souvent mais de la viande de qualité, issue d’animaux élevés dans des conditions normales.

L’augmentation du nombre de flexitarien semble montrer que la population se tourne davantage dans cette direction que vers un choix d’exclusion totale.

Simon

A suivre, partie 2

Sources

1. https://www.blv.admin.ch/blv/fr/home/lebensmittel-und-ernaehrung/ernaehrung/menuch.html

2. https://www.blv.admin.ch/blv/fr/home/das-blv/organisation/kommissionen/eek/vor-und-nachteile-vegane-ernaehrung.html

3. https://www.swissveg.ch/sondage_veg?language=fr

4. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4081456/

5. https://jandonline.org/article/S2212-2672(16)31192-3/fulltext?elsca1=etoc&elsca2=email&elsca3=2212-2672_201612_116_12_&elsca4=Public%20Health%7CHealth%20Professions%7CNutrition%2FDietetics%7CPreventive%20Medicine

6. https://www.eatrightpro.org/-/media/eatrightpro-files/practice/position-and-practice-papers/position-papers/vegetarian-diet.pdf

7. https://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:QKAjag4SHpAJ:https://www.blv.admin.ch/dam/blv/fr/dokumente/lebensmittel-und-ernaehrung/ernaehrung/fi-menuch-fleisch.pdf.download.pdf/fi-menuch-fleisch.pdf+&cd=3&hl=fr&ct=clnk&gl=ro&client=firefox-b-d
8. http://doc.rero.ch/record/306612/files/PhilippeBerner_-_TB.pdf
9. https://www.letemps.ch/suisse/suisses-mangent-viande-mettent-sante-peril

10. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20479151/

11. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23497300/

12. https://www.antispeciste.ch/post/le-veganisme-en-suisse-barometre-2019